> Passer à l’action > Nos Expériences > Des formations émancipatrices > Les témoignages-récits de vie

< Retour

Les témoignages-récits de vie

Des outils pour fédérer et transmettre les valeurs fortes d’une organisation paysanne

Contexte de l’expérience

Le MPP est un mouvement paysan haïtien qui est apparu dans une ère politique violente : le régime Duvaliériste. Ce régime a pris place suite à des élections en 1957 et a perduré jusqu’en 1986. Cela a signifié pour le MPP, que de 1973 à 1991, le mouvement a dû se construire dans la clandestinité. Il lui a donc été longtemps impossible ou dangereux d’avoir ses propres documents, de conserver la mémoire de ces actions par papier.

Or, afin de se consolider, d’exister et de faire trace des actions fortes menées par ses membres, le MPP a commencé à centraliser les témoignages forts et les transmettre aux différentes générations.
Aussi, se souvenir des actions collectives et faire vivre cette mémoire fut à la fois une nécessité pour que les paysans gardent espoir dans leurs actions malgré le poids du contexte et un moyen de créer de l’adhésion et de l’unité au sein même de l’organisation, car ce sont chacune de ces histoires et chacun des témoignages paysans qui ont progressivement construit le MPP.

Ce que le MPP a fait et comment
Progressivement l’organisation a constitué son répertoire de témoignages qui permettent de fédérer et honorer la mémoire des paysans. Ce sont donc des récits forts de prise de conscience, d’engagement pour une cause collective et de traumatisme pour rappeler les valeurs fondamentales du respect de la personne et de la solidarité qui ont permis l’émergence du MPP.
Ces histoires sont transmises aussi bien durant les parcours de formation en animation pour le changement social que durant les évènements collectifs de grands rassemblements. Elles peuvent donc être mobilisées par les formateurs ou animateurs lorsqu’ils le pensent pertinent.

Les histoires
Il y a un répertoire de 9 histoires qui sont transmises durant la formation en animation pour le changement social pour créer du lien entre les différentes générations de membres du MPP et remettre au cœur de tout, les valeurs qui émergent de ces histoires-apprentissages.
Nous vous proposons trois histoires à découvrir parmi ce répertoire.

HISTOIRE D’ARNAUD MICHEL
C’est l’histoire d’un monsieur qui aujourd’hui a plus de 80 ans. Chavannes, le fondateur du MPP nous raconte : « Lorsque je suis arrivé à Papaye en 1972, je devais faire des formations en animation pour Emmaüs mais une des choses que je voulais faire c’était comprendre la zone, découvrir la zone, sans avoir de méthode je voulais faire de l’investigation action ; donc je suis allé à Montegrand. Sur le chemin du retour, en repassant à Los palis, je décidai d’aller saluer un de mes oncles qui m’avait hébergé étant enfant. Mon oncle c’était Arnaud Michel. Lorsque je suis entré dans la maison, j’ai vu 4 gros bidons. La maison sentait le Clarin (boisson locale à base de rhum).
J’ai dit : « mais ici, ça sent le Clarin. Qu’est-ce que tu fais avec ça » ?
Il a dit : « ce Clarin, je l’ai acheté à Pion (Nord) et je vais le vendre à la frontière avec la République Dominicaine. »
J’ai dit : « ah bon ». Et alors il m’expliqua : « Oui, je fais ce commerce qui me rapporte un peu. Mais pour faire ce commerce il faut que j’emprunte 50 gourdes à une personne et chaque samedi je dois lui donner 5 gourdes. »
Il a continué à me raconter. En retournant chez moi, je réfléchissais et je me suis dit : « il y a 52 semaines donc 260 gourdes par an en plus des 50 gourdes pour la personne qui lui a prêté l’argent. Donc c’est inacceptable. »
Je suis retourné chez moi et le groupement « Kè kontent » (« cœur en joie ») existait déjà. En face du dispensaire, il y avait Aristène. Je suis sorti et allé le voir pour lui expliquer ce que je venais d’apprendre. Je lui ai dit «  : mais ce qui est en train d’arriver c’est un crime, lorsque je fais les calculs en termes de pourcentage, ça fait un taux de 480% ! »
J’ai eu une réunion avec le groupement « Kè kontent ». Et ils m’ont expliqué tout ce qui se passait dans la zone de semblable. Ce n’était pas nécessairement avec le commerce de Clairin mais partout des taux semblables étaient pratiqués !
J’ai pris conscience des usuriers. J’ai par la suite cherché à en savoir plus. J’ai alors compris que le problème était bien là et grave et que c’était moi qui ne l’avais pas vu.
Alors j’ai décidé de faire une réunion sur ça. »

L’HISTOIRE DE FRÉDÉRIK
C’est l’histoire d’une femme qui était membre d’un groupement. Un membre de sa famille eut la tuberculose. La tuberculose étant une maladie contagieuse, tous les autres membres de sa famille ont fini par en être atteint aussi. Or, les gens ne savaient pas ce que c’était exactement, alors ils pensaient que c’était causé par le Diable. Ils ont dépensé beaucoup d’argent pour bénéficier de l’aide des prêtres vaudou. Mais la maladie n’avait rien avoir avec ça, alors ils étaient toujours plus malades.
Chavannes est allé leur rendre visite. Il leur a conseillé d’aller en Sanatorium spécialisé dans la tuberculose car il a vite compris qu’il s’agissait de cela. C’est Chavannes qui a pris en charge toutes les démarches car la famille avait dépensé tout son argent et ne voulait pas y aller.
Pendant qu’ils étaient tous en cure, Chavannes et les membres de groupements ont cherché du bois et tout ce qu’il fallait pour construire une maison. En fait, cette famille vivait dans une petite maison, vraiment très petite et c’est en partie pour cela que tout le monde avait été affecté par la maladie.
Donc, avant le retour de la famille, une maison leur avait été construite grâce à la solidarité de tout le monde. Et cela fait plus de 30 ans que la maison est toujours là. La maison a plusieurs pièces.


HISTOIRE DU GROUPEMENT LA PATIENCE, BONO
Childérique, membre fondateur du mouvement nous raconte ses souvenirs :
« C’est l’histoire d’un membre de ce groupement, Bono Bolivar. Un jour, Bono était en train de couper le maïs ; son frère était venu l’aider. Le soir, à la fin du travail, l’adjoint du chef de section a envoyé un policier arrêter son petit frère. Bono ne comprenait pas pourquoi cela devait se faire la nuit et demanda que les choses se fassent dans la journée.
Le policier est reparti mais en arrivant auprès du chef de section, il déforma les propos de Bono, et dit « Bono a dit que personne ne pouvait arrêter son frère ».
Ils cessèrent de s’intéresser au petit frère de Bono et portèrent alors leur attention sur Bono lui-même. Le chef de section envoya le policier arrêter Bono. Lorsque le policier arriva, le groupement travaillait dans le jardin d’Antoine ; le policier vint mais ne dit rien sur sa venue, il parla de tout et de rien. Puis il s’en alla.
Un d’entre nous était un ancien policier, il dit : « je vais aller le voir pour savoir de quoi il retourne ». Arrivé au niveau de l’autre, il lui dit : « toi, tel que tu es venu, tu voulais quelque chose, qu’est-ce que tu veux ? »
Le policier répondit : « j’étais venu pour Bono, le chef de section m’a envoyé pour ça ».
L’autre lui a dit : « pour que ton chef de section t’aie envoyé et que tu reviennes sans personne ça va mal pour toi ». Alors les deux sont revenus vers les membres de groupements qui étaient dans le champ. Nous avons collectivement décidé que nous irions ensemble voir le chef de section. Nous formions un seul corps, nous ne pouvions pas laisser Bono prendre 50 coups de bâtons. En effet, le chef de section avait décidé que Bono devait être battu pour avoir entravé le travail de la milice. Nous avons décidé que chacun d’entre nous partagerait ses coups de bâtons.
Nous avons tous pris la route du chef de section. Sur la route nous avons croisé un caporal. Il nous a demandé : « où allez-vous », on ne s’est pas occupés de lui, on a continué.
On est allé jusqu’au chef de section. On l’a salué. Le policier lui a expliqué la situation. Alors, le chef de section a dit : « alors vous allez tous prendre 50 coups. »
Bon, alors, on s’est dit : « bon on va vraiment prendre ces coups de bâtons finalement », alors on s’est mis à parler de tout et de rien avec l’adjoint.
Finalement, on n’a pas eu les coups de bâtons, il a nous a dit de partir. Il a dit qu’il nous rendrait visite dans les jardins. »

Fiche Expérience : Les témoignages-récits de vie

Priorités

Priorité 4
Auteur(s) : MPP